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Août 1914, vallée mosane. Jean-Baptiste, quatorze ans, échappe par miracle à la fureur meurtrière d’une unité allemande emmenée par un officier de cavalerie dont la beauté rivalise avec la brutalité. Profondément choqué, l’adolescent est confié aux soins d’un jeune neurologue parisien disciple de Charcot et de Freud. Il y forge, jour après jour, un implacable projet de représailles. C’était sans compter avec un singulier duo de belles-sœurs qui font irruption dans sa vie.
Octobre 2027, vallée mosane. Alors que le monde culbute dans le chaos postmoderne, Anselmo, le prieur de l’abbaye Laus Perennis, découvre chez sa compagne Cécile des signes troublants de divination. Le déluge qu’elle pressent relève-t-il de la colère divine ou, plus prosaïquement, du dérèglement climatique ?
Au fil d’un récit polymorphe aux accents de réalisme magique, Bernard Antoine fait entrer en résonance l’étourderie coupable des années trente à Berlin (qui enfanteront la tragédie nazie) et une modernité minée par l’anxiété climatique, les questionnements religieux et la hantise du déclin. Aquam, qui se joue avec bonheur des méandres de l’évidence et de l’Histoire, nous rappelle que « le temps est innocent des maux qu’on lui attribue » (Denis Heudré).

Bernard Antoine est un romancier ambitieux. Avec Pur et nu, paru en 2018, il nous avait plongés avec brio dans l’histoire des Brigades rouges, des années 1970 à aujourd’hui, en un récit mêlant vérité historique et fiction. Avec Aquam, il convoque le passé et le futur : un jeune garçon assiste au massacre des siens perché sur un arbre pendant la guerre 14-18 et il se jure de les venger, n’ayant de cesse de suivre la trace du gradé allemand qui menait les opérations. La population s’en est pris aux troupes semant la mort en retour et enterrant les corps à la hâte dans une cavité. Mais le gradé y a échappé. Au XXI^e siècle, mais quelques années plus avant qu’aujourd’hui, des pluies très abondantes s’abattent sur la même région et dévalent vers la Meuse, à telle enseigne que des torrents déboulent dans la vallée, que des glissements de terrain se produisent et que des cercueils de bois sommaires sont mis à jour. Le passé douloureux rejoint le présent et, avec lui, les faits de jadis, la douleur, les questions de toujours sur les crimes de guerre, les blessures profondes et durables qu’ils laissent chez tous. A proximité, une communauté spirituelle est témoin des faits, et tente de trouver un sens dans les tourments climatiques, politiques et humains. En regard de cette partie moderne, le passé lointain et le futur, les destins du jeune garçon devenu adulte et celui du gradé allemand se déploient et se croisent. La vengeance n’est pas un chemin facile et elle prend parfois des détours surprenants...
Bernard Antoine a réussi à passer le cap du second roman sans rien perdre de sa superbe. Servi par une écriture soignée, puissamment ancré dans le présent (même si le manuscrit a été finalisé avant les inondations de l’été 2021), Aquam nous tient tout du long en haleine et son auteur ne cesse d’interroger l’aventure humaine tout en soulignant sa complexité et sa fragilité.

Thierry Detienne