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Une cigarette à demi fumée par le créateur du cubisme, qui a révolutionné notre vision du monde et fait éclater nos points de vue, bouleverse l’existence de tous ceux qui croisent sa trajectoire. Des années 1950 à nos jours, sa pincée de tabac brun et de papier jauni, conservée comme un talisman par le maçon qui l’a ramassée, redessine les destins les plus tragiques, rejoue les enfances, renverse toutes les perspectives :
« Ce n’est pas comprendre, c’est voir, ce qui est là mais qu’on ne peut pas voir avec les yeux de tous les jours. Changer d’angle, changer son regard. Voir. »
Une histoire de vies en abîme et de renaissances, traversée par la guerre d’Espagne et un « Américain d’Hollywood ».

Expert-comptable de profession, Blin est au bout du rouleau : son métier le barbe, son physique l’encombre, son couple bat de l’aile, et, pour couronner le tout, Miguel, ami d’enfance et principal client, le convoque, sous une chaleur suffocante, dans son exploitation agricole au moment même où éclate un conflit avec ses travailleurs. Sous le regard intrigué de Blin, Miguel dénoue le contentieux après avoir tiré quelques bouffées méditatives d’un mystérieux mégot sorti d’un précieux écrin. Et Blin de s’interroger : que s’est-il passé ? Quel rôle a joué ce mégot ? Que signifient les mots marmonnés par Miguel lorsqu’il le fumait ? De retour chez Miguel, il le questionne, et celui-ci commence à raconter. Mais cela ne suffit pas à Blin qui, de découverte en découverte, ajustera sa vision du monde, changera son regard sur la vie.
Avec ce roman riche en rebondissements, Richard Apté nous fait revivre l’épopée tragique des réfugiés espagnols lors de la guerre civile et leur grand rêve d'Amérique ; il nous emmène, dans une scène saisissante, auprès du grand Pablo Picasso et de sa fameuse baie de Cannes, et il nous ouvre en grand les catalogues du maître. Mais enchâssée dans le récit historique et culturel se niche la trame d'une amitié solide, qui se nourrit autant de la transmission du passé que d’une fine connaissance de l’âme humaine, de ses obsessions, de son aspiration à la résilience.
L’auteur écrit avec un art consommé de parler à l’imaginaire, de donner à voir ce qu’il raconte, à vivre au plus près de ses personnages. Avec eux, on sent, on écoute, on voit, en modifiant la perspective au fur et à mesure de la lecture.
C’est un mégot dont les volutes se répandront pour un long temps dans les esprits des lecteurs exigeants, sensibles et curieux.

Frédric Kurz